Cool

Elle a 17 ans, 18, peut-être 19. Malingre comme toutes ces petites gonzesses sous-alimentées, par choix ou par pauvreté. Elle me fait penser à la vieille goualante de Montmartre, et les escaliers de la butte qui sont durs aux miséreux, le jupon plein de trous, l'odeur de fièvre des gosses mal nourris, etc.

Cora Vaucaire - La Complainte de la Butte

Seulement, on est en 2014, à Vannes, dans le TGV.

Elle est assise à la place 61, voiture 16, elle discute avec sa voisine du même âge, mais du genre étudiante sage, et elle est assise à ma place.

- Excusez-moi, Mademoiselle, mais je crois que vous êtes assise à ma place !

- Oh oui, c'est possible, pardon Madame, je pars tout de suite.

- Mais vous êtes avec la demoiselle d'à côté... et je vois deux places totalement libres derrière. Restez donc là, pas de problème. S'il y'a du monde à Rennes, je vous délogerai ! 

- Merci Madame, z'êtes cool !

Il y a au milieu du wagon un machin à bagages, comme une grille de four, tu fournes ton bagage au-dessus, ou au-dessous. J'ai ma grosse valbombe rouge, un peu vide, mais encombrante.
- La mettez pas au-dessous, Madame !

- Ah ouais ?

- S'il vous plaît !

- Ok.

Il y a de la place dessus, je pose mon engin et je souris à la gamine qui a l'air bizarrement soulagée.

Elle me fait penser à l'héroïne de Millénium un peu. Les cheveux demi-rasés, demi-dreadlockés. Pâle, chétive, sanglée dans une espèce de treillis décoloré. Des piercings.

Mais de la beauté brute, comme une jeunesse et une joliesse détournées brusquement d'un itinéraire heureux. Elle porte sa blessure sur son corps et dans ses yeux. Touchante.

Je m'installe derrière les deux filles, je lis mon bouquin, je m'abstrais.

Rennes dans 5 minutes.

Millénium se lève, mon attention s'éveille, j'écoute, curieuse, elle parle à sa voisine.

- Ca fait plaisir de rencontrer des gens comme toi ! C'était cool de te parler. Bon ben, voilà, Rennes ! J'espère que je vais trouver un endroit où dormir, sinon, ce sera encore la rue...

Elle se baisse sous la grille à bagages et tire deux cordes au bout desquelles apparaissent deux gros chiens noirs au regard humide. Ils n'ont pas bronché pendant tout le voyage. Je n'aurais jamais soupçonné leur existence.

Elle se tourne vers moi :

- Merci encore, Madame, vous êtes cool !

Je souris bêtement et j'avale difficilement ma salive.

Comments

[Zosio]

Ouch ! Et le "déguisement" comme une mutilation supplémentaire, comme un marquage de la souffrance vécue à l'intérieur. Parfois, je préfère que mon fils soit autiste...

[S.]

...

Et oui, il faut accepter ça, vivre dans un monde où on enjambe les SDF sur les trottoirs.





(Ps : Mr Sifflet = petite quéquette)

[personne]

:-/

Ouaip...

[Hélène]

J'espère qu'elle n'y restera pas trop longtemps dans la rue, parce que...putain, ça fait ch.er , la vie parfois...

[corine]

" No et moi " Delphine de Vigan .La même " millénium " mais sans les chiens.

Je viens d' en terminer la lecture.

Touchante et tellement actuelle.