Garçon !
Une famille puissante, les Lamour, en Bretagne.
Maquignons depuis des générations, leurs valeurs morales douteuses ne les avaient pas freinés, bien au contraire, sur le chemin de la richesse. Et je ne parle pas là de fausse aisance malodorante, non, mais d'un magot si gros et gras qu'il permit à Gustave Lamour, au début du XXème siècle, de déclarer sans ambage à la belle qu'il convoitait "Je ferai un domaine où Lamour sera roi, où tu sors à Rennes".
C'est donc non loin de la capitale du Duché de Bretagne, à Sion, et non dans le Nord, tant Lille est vilaine, que fut édifié le domaine des Lamour.
Une lourde bâtisse un rien prétentieuse et s'étirant sur une telle longueur qu'elle portait parfaitement son nom de maison de mètres.
Des jardins Allah Française, un style alliant finement Orient et Occident, où les couscoussiers en fleurs voisinaient avec les Béchamelliers parfumés.
Et surtout, fierté, délice et vertige des Lamour, un haras somptueux, sobrement appelé "L'étalon". Les lads, fourmis zélées, pansaient les chevaux, comme d'autres pensent à Fernande, en bande. Le plus appliqué et le plus jeune d'entre eux, Thomas, allait jusqu'à dormir dans les écuries. Il était la risée de ses collègues, les lazzi fusaient "Faut pas le freiner, le palefrenier !", "Laisse Thomas dans l'Etalon !"... le petit n'en avait cure ni cure-dent, malgré une dentition chevaline.
Chaque matin à l'aube, un chambellan cacochyme ganté de blanc sortait dans la cour d'honneur et hissait en haut d'un mas demi-zen les couleurs de Sion, au son de "Poussons l'escarre, Paulette", chanson fétiche de la famille depuis la longue agonie de Paulette Lamour, en 1938. Le soir, le même chambellan affalait les couleurs, ce qui vaut mieux que d'avaler des couleuvres, même pour un herpétophile.
Mais hélas, les chambellans, comme les chants bêlants, ont une fin, et notre préposé au drapeau fut retrouvé un beau matin sur sa couche, raide comme Axel, sangsue alitée.
Cantona, que Lamour sollicita pour reprendre le rôle, refusa, à la surprise de la Bastille, la cuisinière de la maison.
Madame Lamour, fine, stupéfiante de sagesse, proposa que l'on désigne pour le remplacer le plus dévoué des employés du haras. Vous vous en doutez, où vous n'avez rien suivi à l'histoire, Thomas fut élu à l'unanimité, et depuis
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Paulette Merval et Jacques Jansen "Poussons l'escarpolette"